mercredi 19 novembre 2008

rencontre, DCXXIV



Mais au fond pouvions-nous, telles que la Déesse nous avait crées, et puis mises en ce monde, nous, Soeurs-Apollines, échapper toutes deux à cette absence d'issue à laquelle nous condamnait cette étrange promenade, cette course plutôt, cette course dévorante et sans cesse renouvelée parmi celles que l'on nommait pourtant
nos semblables ?

Non que physiquement, intimement, nous leur fussions différentes -et notre peau à elles frottée, et notre sueur à les aimer, et la salive de nos baisers le rappelaient à chaque et chaque nuit suffisamment- : mais les humeurs de nos corps doubles ne se satisfaisaient finalement guère à leur étreinte, et même au plaisir que nous aimions leur accorder si généreusement, malgré la joie que nous éprouvions à sentir
ensemble et comme de l'intérieur leur propre jouissance : à cette ivresse qu'elles avaient toujours à nous approcher, à cet abandon rapide du corps et de l'âme qui les saisissait à peine avions-nous posé sur elles l'effleurement d'un doigt, d'un mot même à leur oreille... Et puis bien sûr tout ce qui s'ensuivait.

Mais aussi généreuses de nos sens et de notre antique savoir de courtisanes divines étions-nous, aussi humaines étions-nous façonnées, et si belles, nous percevions trop bien, cependant, rencontre après rencontre, étreinte après étreinte, l'invisible et définitif écart qui nous séparait d'elles : de sorte que mues de notre seule raison d'être ici, et blessées ainsi de chaque blessure qu'il nous fallait malgré nous leur infliger, nous commençâmes peu à peu à nous retirer : nos doigts ne rencontrèrent plus bientôt que le clavier de leurs machines familières, notre peau fut le verre de leurs écrans ; quant à nos baisers, voilà longtemps qu'ils n'avaient plus que le sel de leurs syllabes, que la langue de leurs langues...

Or, et comme par un curieux retour des choses, ce fut le Ciel qui à ce prix sembla se réouvrir. Abandonnant peu à peu cette sorte de marche forcée du corps, sa robe lumineuse de désirs, son ventre d'illuminations si doucereuses, voilà que le souffle de nos coeurs ouvrait à nouveau des profondeurs longtemps perdues : nous semblions nous retrouver enfin, nous réunir pour de bon, retrouver cette ancienne unicité de nos deux êtres si longtemps interdite par le commerce d'une trop longue multitude...

Amantes sans limites d'une Beauté de toute manière inaccessible par son incommensurable essence, nous en avions en quelque sorte dévoré des fragments, au lieu de nous nourrir de sa totalité ; nous nous étions égarées parmi des détails qui nous avaient fait perdre l'entièreté de son horizon, nous nous étions lentement attachées, enchaînées à cette chaleur de la chair qui nous avait peu à peu bercées de sommeil et nous l'avait presque fait oublier, cette Soleille unique, cette brûlure si maternelle qui seule pouvait nous donner sens, et seule justifier le véritable éclat de ce qui pourtant battait et bat encore si fort en nous, et qui porte je crois le nom







d'Amour.




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